La situation régionale au Maghreb, notamment sur la frontière algéro-marocaine, est des plus critiques. Les dernières manœuvres de l’Armée nationale algérienne (ANP) dans l’ouest du pays ne sont pas des exercices de routine. La tension, celle que perçoivent à sa juste mesure les observateurs attentifs de la scène politico-diplomatique maghrébine, a dû atteindre un degré tel que l’ANP a cru devoir montrer toutes ses capacités à riposter à toute tentative d’agression. Le prétexte existe : le droit des Forces armées royales (FAR) à poursuivre l’armée sahraouie sur ses bases de repli algériennes. Cette option «militaire» a bien été exprimée par au moins un responsable politique marocain. Ce n’est pas anodin, car une telle éventualité ne peut être envisagée et mise en pratique qu’avec le feu vert de puissances qui ont tout intérêt à affaiblir l’Algérie ou à tout le moins à «rabaisser le caquet» à ce pays qui se targue d’avoir une ligne diplomatique inflexible depuis l’époque des maquis. Une ligne vertueuse qui est, reconnaissons-le, en totale discordance avec une politique intérieure faite de reniements, d’improvisation, de gaspillage, de prédation et de courtisaneries en tout genre sans lesquels le pays se serait bien mieux porté aujourd’hui. Ligne diplomatique vertueuse en effet car la politique extérieure de l’Algérie est constante, obéissant aux mêmes règles depuis la naissance dans les maquis de l’Etat révolutionnaire algérien : respect absolu de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale des Etats-nations ; non-ingérence dans les affaires intérieures ; droit à l’autodétermination des peuples ; intangibilité des frontières héritées du colonialisme ; soutien diplomatique et aide aux peuples en lutte pour leur liberté et leur indépendance ; diversification des relations économiques ; équidistance des blocs, notamment à l’époque du non-alignement (il en est toujours resté quelque chose car le monde est de nouveau en voie de rebipolarisation accélérée) ; offre de bons offices pour dénouer des crises humaines (otages français du Liban, otages américains de Téhéran…) et des conflits inutiles et délétères mettant aux prises des pays amis, notamment l’Iran et l’Irak. C’est Alger qui a rabiboché le Shah et Saddam en 1975 ; c’est encore Alger qui s’évertue à mettre fin à une guerre stupide déclenchée par Saddam Hussein contre la République islamique d’Iran, une médiation qui va contrecarrer les intérêts occidentaux et israéliens qui n’avaient de cesse depuis le début du conflit que d’affaiblir les deux belligérants en ravivant le feu chaque fois que les flammes venaient à faiblir. Une médiation qui coûtera la vie, en 1982, à Mohamed Seddik Benyahia le brillantissime ministre algérien des Affaires étrangères de l’époque. Il y a également un axe majeur et constant de la politique étrangère algérienne, le soutien à la cause palestinienne. Il est vrai cependant que durant ces 30 dernières années, l’Algérie, fragilisée par ses problèmes intérieurs et le déséquilibre géopolitique survenu depuis la fin de l’URSS, s’est quelque repliée un peu sur elle-même. Pourquoi, pourrait-on s’interroger, l’Algérie soutient la cause palestinienne ? Est-ce parce que la Palestine se trouve classée de facto dans la «nation arabe» ? Non, je ne le crois pas même si tel président algérien, paraphrasant une «parole sainte», avait déclamé que «Nous Algériens, sommes aux côtés de la Palestine qu’elle ait tort ou raison». Est-ce par empathie religieuse ? Non plus, car la Palestine est un melting-pot de plusieurs religions, et l’OLP elle-même comporte des factions commandées par des chefs chrétiens. La véritable cause du soutien sans faille de la diplomatie algérienne aux Palestiniens est ce goût des causes justes né au cours d’une guerre de Libération nationale avide de soutiens internationaux dès ses débuts. Les Algériens savent ce que signifie de compter sur des amis sûrs et constants. La politique étrangère algérienne incarnée avec brio ces dernières années par Ramtane Lamamra recèle également une dimension d’éthique et de justice : on ne peut mettre sur un même pied d’égalité un agressé et un agresseur, même si ce dernier est puissant. Goût des causes justes et rejet du droit de la force brutale, voilà ce qui peut également expliquer le soutien, ou en tout cas l’empathie algérienne à l’égard de l’Iran. Ce pays qui n’a envahi ni bombardé personne et qui se contente d’essayer de sanctuariser son territoire en brandissant ses supposées capacités de nuisance. «Si vous me frappez, je vous ferai mal», tel est le credo des Iraniens vis-à-vis de l’Occident et surtout d’Israël qui agite chaque saison la menace de bombardements pour détruire des sites supposés dangereux nucléairement parlant pour sa sécurité. Les Iraniens comme les Coréens du reste n’oublient pas la leçon irakienne d’un Saddam suppliant le Léviathan américain avant la deuxième guerre du Golfe d’épargner son pays qui n’a plus aucune capacité de nuisance. «Ne me frappez pas, je n’ai plus rien, je suis inoffensif». Tel était le message de Saddam à ceux qui avaient programmé la destruction de son pays. Et on l’a frappé, détruit son pays et lui avec, dans l’humiliation absolue pour lui et l’Irak. Le piège de son agression contre l’Iran s’était définitivement refermé sur lui. Revenons à la situation actuelle : l’Arabie Saoudite joue en ce moment sur la fibre arabe et sunnite pour fédérer autour d’elle une coalition contre l’Iran chiite. L’entreprise n’est pas dénuée de l’arrière-pensée belliqueuse d’une guerre directe ou proxy américano-israélienne contre l’Iran. Le signal a été donné avant le 12 mai 2018 (aujourd’hui) par la décision du président américain quant à l’avenir de l’accord de dénucléarisation de l’Iran signé par l’Europe, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le pays concerné. Le rejet de cet accord par Trump signifie sans doute le feu vert donné à la guerre. Cette guerre a du reste déjà commencé contre les Houthis chiites du Yémen soutenus par l’Iran. Au Maghreb, le Maroc en toute logique joue la coalition de ses alliés naturels : l’Arabie Saoudite et les monarchies du Golfe, l’Amérique et de facto Israël et rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran au prétexte que la République islamique apporte son soutien au Polisario. Si ce n’était que cela, le Maroc aurait depuis longtemps rompu toute relation avec une Algérie, base de repli du Polisario, et qui clame publiquement son soutien à l’autodétermination du peuple sahraoui. Sans apporter de soutien franc à l’Iran, qui est tout de même l’ennemi du très puissant binôme israélo-américain, l’Algérie se démarque de l’initiative saoudienne. Elle ne veut pas cautionner le bellicisme de Mohamed Ben Salmane au service d’une cause qui le dépasse. La diplomatie algérienne qui mise tout sur les solutions pacifiques et politiques ne s’embarrasse plus de son ethnicité arabe, elle qui vient de renouer avec sa profondeur historique amazighe. Ni de considérants religieux : ni sunnites, ni chiites, même si elle donne l’impression paradoxale d’un pays sunnite solidaire de l’arc chiite (Syrie, Irak, Iran, Hezbollah libanais). Le choix algérien est purement politique et diplomatique et n’a rien à voir comme cela a été dit avec de prétendues survivances chiites en terre algérienne depuis l’époque du royaume Kutama de Jijel. Ce choix est plutôt déterminé par cette éthique diplomatique qui caractérise la politique étrangère algérienne : se démarquer de l’agresseur supposé et prendre parti du potentiel agressé. En toute logique donc aux côtés de l’Iran, de l’Irak de la Syrie et du Hezbollah, ce dernier étant considéré comme un mouvement de libération qui défend l’intégrité territoriale de son pays. On peut parier du reste que si le peuple israélien était menacé dans son existence par un encerclement arabe puissant et agressif, le premier pays à exprimer son indignation serait l’Algérie. Toujours donc le rejet de l’exercice de la force inique et brutale. La diplomatie algérienne relève plus de la psychologie que de la realpolitik. Par Belaïd Abane
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