jeudi 3 mai 2018

Quand le numérique devient un prétexte

Le ministre de la Communication, Djamel Kaouane, ne cesse d’insister que le print n’a pas d’avenir en Algérie. Il recommande même aux journaux de se mettre à l’ère du numérique, et encore faudrait-il que le e-paiement soit une réalité palpable. C’est vrai que le phénomène est à la mode et fait le buzz, mais suscite parfois des conclusions hâtives, aussi tranchées et souvent à l’emporte-pièce. Assurément, la presse électronique a bouleversé la situation le monde des médias, notamment la presse à papier, donc de beaucoup de journaux dans les pays développés, aux Etats-Unis, en France ou en Angleterre, des titres légendaires ont eu à en pâtir avec l’entrée en force du numérique, seulement, le temps semble remettre un peu les pendules à l’heure, et en phase de produire une décantation salutaire. Des enquêtes ont été menées sur la révolution du numérique dans les médias, sur l’avenir du papier et les mutations qu’il doit s’imposer pour rester. Alain Louyot, ancien grand reporter au Point, rédacteur en chef à L’Express, directeur des rédactions de L’Expansion, et est actuellement en charge de la rubrique The Good Paper au magazine The Good Life, s’est rendu dans plusieurs pays pour voir l’effet du numérique sur les entreprises de presse. Ses conclusions sont édifiantes. «Toutes les rédactions se sont adjointes une version numérique et pourtant, il faut faire la part des choses.» Pour Alain Louyot, «le web et le papier sont deux choses différentes avec des exigences différentes. Le journal papier est un temps long où le développement, la réflexion et l'analyse sont des valeurs ajoutées. Le web s'inscrit dans un temps court où ce qui compte est la rapidité et l'immédiateté de l'information. Ce qu'il faut c'est une certaine agilité pour diffuser une information sous toutes ses formes. Via papier, web, infographie, vidéo, data... Il faut une gymnastique narrative, être agile et informer de peins de façons différentes» (déclarations reprises par le site de la RTBF). L’ancien grand reporter du Point n’est pas le seul à le penser, Hugues Dorzée, rédacteur en chef d'Imagine demain le monde, développe la même analyse. «Nous sommes, dit-il, dans un monde de plus en plus complexe et globalisé avec un grand nombre d'enjeux et d'incertitudes.» Selon lui, «on se trouve dans un règne d’hyper-connexion, d'abondance et de zapping. Le ton médiatique ambiant est le cynisme, souvent manichéen et simpliste». Or, il y a une place pour le journalisme vivant, inspirant, de solutions. Un journalisme qui dénonce, certes, mais qui explique, met en perspective et propose des alternatives en mettant en avant des innovations sociales, économiques, environnementales... Il faut une véritable volonté d'apporter une valeur ajoutée au lieu de simplement faire le buzz ou un copier/coller. On a un devoir de revenir aux lettres du métier de journaliste, conclut le rédacteur en chef de Imagine demain le monde. «Séparer les faits du bruit qu'ils provoquent», estime par ailleurs Alain Louyot, pour qui «c'est indispensable de prendre le temps». «Le fait n'est pas souvent ce que Bruxelles ou Paris en pensent», dit-il avant de poursuivre : «Le reportage, par exemple, est une façon d'aller en profondeur et de prendre le temps de comprendre le fait et ses enjeux. Lorsque l'on prend le temps de l'investigation et de l'explication, il y a une reconquête réelle du lectorat qui peut se mettre en place.» Rien n’est donc aussi tranché plus qu’ailleurs qu’en Algérie. Le print n’est pas mort, sauf si on veut faire de l’exigence du numérique un prétexte pour tuer définitivement la presse indépendante, essentiellement les journaux qui dérangent. Le rôle de l’Etat aurait dû être celui qui garantit la pérennité des supports de presse, aussi critiques qu’ils soient envers la gestion du pays. Selon les dernières statistiques, en France une trentaine de titres privés bénéficient d’une aide directe de l’Etat. Durant le dernier exercice, elle s’élevait à environ 65 millions d’euros. Pour ne citer que quatre exemples : Aujourd’hui en France a bénéficié d’une aide de presque 8 millions d’euros, Le Figaro appartenant au groupe privé Dassault a encaissé 5 778 283 euros, Le Monde a bénéficié d’un montant de 5 088 915 euros et Libération de 6 376 144 euros.     

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