Début, à partir de la fin du mois courant, de la série des examens nationaux. L’examen de fin du cycle primaire (ex-6e) pour les écoliers est maintenu, même si la ministre de l’Education nationale avait annoncé sa suppression. Les pédagogues défendent l’idée de son abrogation pour de multiples raisons. El Watan Week-end ouvre le débat. Stress, crise de larmes, peur, moments d’hésitation, manque de confiance en soi, des vomissements parfois… Ce sont les états d’âme des enfants d’à peine 10 ans qui ont passé cette semaine leur examen blanc de fin de cycle primaire, dit 5e (ex-6e). Tout est fin prêt pour cet examen prévu le 23 mai prochain. Statistiquement, ils seront 797 812 candidats cette année, soit une augmentation de 4,8% par rapport à l’année passée où le taux de réussite était de 89,38% ; c’est-à-dire que plus de 11% ne sont pas passé au collège ! Le taux de réussite s’est établi à 93,91% après le rachat sur la base de la fiche de synthèse. L’année d’avant, le taux était de 79,99%. Pourquoi un tel échec ? La sagesse pédagogique nous enseigne qu’il n’y a pas de mauvais élèves, mais de mauvais systèmes scolaires, explique Ahmed Tessa, pédagogue et retraité de l’éducation. Il est carrément favorable à la suppression de cet examen. Un examen qui n’a pas lieu d’être et que la ministre de l’Education nationale avait proposé de supprimer, une idée qu’elle n’a pas encore réussi à appliquer. «Cet examen ne sert à plus rien aujourd’hui. Il ne sanctionne que les élèves démunis», précise Bachir Hakem enseignant et membre du CLA. La nécessité de le réformer en profondeur a été en effet évoquée dans l’une des recommandations de la première conférence d’évaluation de la réforme organisée par le ministère en juillet 2015. «Malheureusement, comme pour la réforme du baccalauréat et d’autres recommandations stratégiques, des voix se sont élevées pour s’opposer à tout changement», regrette le pédagogue. Pourquoi faut-il supprimer l’examen de 5e ? Raisons M. Tessa indique que dans le monde et particulièrement dans les pays ayant réussi pédagogiquement, l’examen n’existe plus. Un flash-back historique nous donne une idée comment cet examen est un obstacle pour l’élève dans sa réussite scolaire. «Il faut revenir aux origines de sa création, vers la fin du XIXe-début du XXe siècle. Le pouvoir aristocratique, puis bourgeois, avait une peur bleue que les enfants d’ouvriers – mais aussi indigènes colonisés – arrivent à percer jusqu’à l’université. Ils ont inventé un parcours d’obstacles : sept examens en tout jusqu’à l’entré à l’université. Seuls les bien-nés pouvaient réussir – avec quelques exceptions», explique M. Tessa qui ajoute aussi que des sociologues et des pédagogues français avaient dénoncé cet «élitisme de mauvais aloi» basé sur l’iniquité. Il paraphrase d’ailleurs Pierre Bourdieu qui évoquait une «école productrice d’inégalités et reproductrice des classes sociales». Puis un deuxième argument défendu par Kamel Nouari, directeur de collègue, qui évoque la crédibilité de l’examen perdue au fil des années. Pour lui, lorsque l’élève-candidat est examiné dans son établissement, surveillé par ses enseignants et surtout «encouragé à la triche», cela touche à la crédibilité de l’examen. Une triche «justifiée», selon Nouari dans la mesure où le taux de réussite de l’examen de 5e est le facteur déterminant pour le mouvement des directeurs. La fin justifie les moyens ! Le troisième argument défendu par Kamel Nouari est que cet examen ne reflète aucunement le réel niveau de l’élève. Car, après un cursus scolaire chargé de matières et de connaissances, l’élève compose dans trois matières, à savoir les maths, la langue arabe et le français, dit-il. Le hic est que dans plusieurs villes du Sud ou des Hauts-Plateaux, on ferme les yeux sur l’examen pour la langue française, insiste Kamel Nouari. Car il s’agit, sans surprise, d’élèves qui n’ont jamais eu de prof de français pendant l’année ou pendant quelques années dans leur cursus, explique M. Nouari. Et ça, c’est aussi une question pénible à laquelle le ministère n’a toujours pas trouvé de solution. M. Nouari retient comme quatrième raison pour supprimer cet examen le fait que le taux d’échec est minime et cela est fait exprès pour permettre aux élèves d’atteindre le collège quel que soit leur niveau. D’ailleurs, il explique que le calcul élaboré et adopté pour le passage s’appuie essentiellement sur les résultats obtenus pendant l’année, c’est-à-dire la moyenne annuelle additionnée à celle de l’examen pour diviser le taux en deux. Autant alors adopter et prendre en considération cette moyenne annuelle que «les profs ont tendance à amplifier» dans certains cas. Comment expliquer alors le décalage entre la moyenne de l’examen et celle de l’année pour l’élève qui échoue en 5e ? se demande M. Nouari. Commerce Ahmed Tessa évoque, comme cinquième argument, le business qui vient autour de cet examen. La réintroduction de cet examen est une «ineptie», dit-il encore. L’examen a simplement mis le feu aux poudres des cours clandestins qui ont envahi le cycle primaire de nos jours. «De la folie, et du système et des parents et des enseignants-commerçants», s’insurge Ahmed Tessa. Un état des lieux confirmé par Bachir Hakem, qui affirme que la moitié des parents à ce niveau paye les cours ou, pour ceux qui osent, payent «carrément les notes». Financièrement, le gouvernement qui bride à chaque fois la carte d’austérité pour justifier certaines décisions pourrait simplement économiser des milliards en supprimant cet examen. Les examens nationaux coûtent 100 milliards de centimes annuellement à l’Etat. Sixièmement, cet examen répond à une pédagogie mise en œuvre par «les régimes totalitaires qui veulent endoctriner leurs jeunes à une idéologie. On citera les nazis, les khmers rouges ou verts, les religieux catholiques du temps où ils régentaient la vie des peuples et des Etats avant la séparation de l’Eglise et de l’Etat», défend M. Tessa. Autrement dit, une pédagogie qui consiste à faire apprendre par cœur aux élèves des cours dont la compréhension est parfois inaccessible à l’enfant. «C’est une corvée et une torture pour eux», insiste-il encore. C’est-à-dire que l’élève ne fait pas travailler son cerveau. Tout ce ceci est valable aussi pour les autres examens nationaux comme le BEM ou le baccalauréat qui n’existent d’ailleurs pas en Finlande, premier pays de référence en éducation. En Algérie, M. Tessa évoque comme autre argument le «bachotage». L’enseignent distribue des polycopies, dicte des cours, fait apprendre par cœur – sans former l’esprit rationnel ou critique de ses élèves – des exercices ou des problèmes-types. Pour l’enseignant, explique encore le pédagogue, cette pratique est confortable et n’est pas fatigante du tout. Tout cela a un seul nom : «La pédagogie noire». Une pédagogie qui évite de développer chez l’enfant l’esprit d’analyse, de synthèse, l’esprit critique ou la créativité, regrette M. Tessa. Les fonctions intellectuelles supérieures de l’élève «sont mises en veilleuse de peur que ce dernier ne découvre le mensonge ou les dérives du discours scolaire. En pédagogie noire, seule la mémoire est développée à outrance. Elle rend aveugle l’intelligence, elle l’étouffe dans l’œuf. Et c’est malheureusement cette forme de pédagogie qui est en vogue dans les systèmes scolaires de certains pays qui raffolent d’examens-barrages. Suivez mon regard…». Pour le pédagogue, il est insensé de parler d’échec scolaire de l’enfant qui n’a pas réussi son passage au collège. «L’enfant normalement constitué est éligible à la réussite scolaire lorsque l’école devient pour lui un milieu de vie où il découvre des activités culturelles, sportives, artistiques, socio-éducatives à côté des apprentissages classiques. Ses besoins fondamentaux sont ainsi pris en charge». Résultat : l’enfant s’épanouit et s’affirme à travers des défis qu’il se lance à lui-même pour mieux aller de l’avant et découvrir, dans un cadre motivant et stimulant, ses dons et «aptitudes naturelles», pour reprendre les mots de M. Tessa. Et attention, sur le plan psychologique, la compétition, les notes, les sanctions, les examens, les comparaisons entre élèves constituent des frustrations et des entraves au développement de sa personnalité. Ahmed Tessa ajoute : «Les résultats des travaux de recherche en neurosciences confirment avec éclat le bien-fondé d’une école ouverte sur la vie. Une école qui ne brime pas, qui ne frustre pas, qui ne décourage pas, qui n’exclut pas au faciès social, selon le statut social et culturel des parents.»
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